David Morin
David Morin spoke 11 times across 1 day of testimony.
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David Morin, Prof. (Sciences politiques – Université de Sherbrooke)
Oui, merci beaucoup, Wayne et Monsieur le Commissaire. L’intervention de mes collègues m’amène à faire deux commentaires sur la relation complexe entre l’utilisation des réseaux sociaux et les évènements d’Ottawa. En termes de gestion de crise — certains diront une crise de sécurité publique, d’autres diront une crise de sécurité nationale, je pense que ç’a été largement débattu à savoir si on est devant une crise de sécurité nationale ou non —, je dirais que cette relation-là, elle est extrêmement complexe, et le collègue D’Orazio décrivait bien un petit peu les impacts, si vous voulez, des réseaux sociaux sur l’environnement d’une crise comme celle qu’Ottawa a connue, et je dirais qu’il y a ici un paradoxe. Les réseaux sociaux, par exemple, vont nous permettre de collecter beaucoup d’informations en amont du mouvement de protestation sur les objectifs, elles vont nous permettre de voir si, effectivement, un certain nombre de groupes extrémistes parlent, par exemple, de recréer un 6 janvier, comme on l’a vu à l’assaut du Capitole, à Ottawa; elles vont nous permettre de voir si on est plutôt sur une contestation de l’obligation pour les camionneurs de se vacciner ou si on a aussi des éléments plus séditieux qui disent que ce qu’on faire, c’est bloquer Ottawa, c’est faire tomber le gouvernement en place, et cetera. Donc, paradoxalement, les réseaux sociaux nous donnent une certaine visibilité sur les causes du mouvement. Si le renseignement est bien collecté et si le renseignement est bien analysé. Maintenant, dans le contexte du mouvement lui- même, les réseaux sociaux créent quand même une certaine volatilité. Et vous posiez la question tout à l’heure, Wayne, ce qu’on a vu à Ottawa, c’est finalement beaucoup de gens d’horizons politiques très différents venir participer à cette manifestation-là. Il y avait des gens avec leurs enfants, des familles qui vraiment contestaient les mesures sanitaires, d’autres qui avaient des agendas politiques beaucoup plus extrémistes et les réseaux sociaux permettent ça. Pour répondre à la question que vous posiez tout à l’heure, les réseaux sociaux sont comme un menu au restaurant. Ils déposent toutes sortes d’idées en ligne puis après les individus s’approprient certaines idées, se font eux-mêmes leur propre menu, et participent au nom d’une cause commune en fonction de toutes ces idéologies-là qu’ils récupèrent. Donc là, il y a quand même, en termes de gestion de crise de sécurité, une volatilité associée aux réseaux sociaux, ne serait-ce que parce que, par exemple, si les réseaux sociaux disent « on est 100 000 personnes à Ottawa…
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David Morin, Prof. (Sciences politiques – Université de Sherbrooke)
C’est vrai, je vais ralentir, alors. Si on est 100 000 personnes à Ottawa, c’est sûr que ça peut créer un effet boule de neige. Donc, la désinformation peut effectivement avoir des impacts, Dax le décrivait tout à l’heure, sur le plan opérationnel aussi, on peut s’écrire sur les messageries cryptées en disant on se retrouve à 1 kilomètre d’ici, et cetera. Donc, elle crée, de mon point de vue, effectivement, une difficulté supplémentaire en termes de gestion de crise. Ça, c’est mon premier aspect et je pense que c’est important de le souligner de nouveau. Le deuxième élément, c’est sur la question de la régulation, et je laisserais mes collègues, comme ils l’ont très bien fait, s’exprimer là-dessus. Il y a quand même un élément, moi, qui me frappe, c’est que lorsque la Loi sur les mesures d’urgence a été créée il y a plus de 30 ans, les réseaux sociaux n’existaient pas. Donc, on a quand même ici une loi qui nous parle de mesures d’urgence dans un contexte sécuritaire où les réseaux sociaux n’existaient pas. Et quand je dis ça, je dis ça pourquoi? C’est parce que dans une manifestation où il pourrait y avoir des éléments de violence, le gouvernement — et là, je fais attention à ne pas dépasser l’objectif qui m’est fixé de venir commenter ici —, mais dans un contexte de Loi sur les mesures d’urgence, si on est dans un environnement volatil, instable, on peut parfois se servir d’une loi sur les mesures d’urgence de manière préventive, c’est-à-dire, quand une province, et cetera — et je vais faire un parallèle face à un évènement climatique extrême — met en place des mesures d’urgence, parfois c’est pour obliger les gens à sortir de chez eux, donc avant même que la tempête ne soit arrivée, on prend les devants. Donc, cette Loi nous sert à prendre des mesures préventives. Dans un contexte volatil de contestation où effectivement on voit qu’on a toutes sortes d’individus qui participent à un mouvement où les réseaux sociaux accélèrent ce mouvement-là, effectivement, il peut y avoir ici des enjeux particuliers. Donc, mon deuxième point — et je m’arrêterai ici — était ce commentaire à l’effet que vraiment, pour moi, un des manques probablement de cette question, de cette Loi sur les mesures d’urgence, c’est le fait que ces fameux réseaux sociaux, ben, n’étaient pas considérés à l’origine et qu’ils complexifient — je dis bien « complexifier » — parce qu’ils ne créent pas la problématique. Ça, c’est important. Que ce soit la propagande, l’extrémisme violent ou les protestations sociales, elles n’ont pas attendu les réseaux sociaux pour exister. Dans un certain nombre de cas d’ailleurs, les réseaux sociaux sont positifs aussi, ils permettent du progrès social. Enfin, je ne vais pas revenir sur les exemples du Printemps arabe, du mouvement #MeToo, et cetera, mais mon point était celui-là, vraiment sur la gestion, sur la question aussi de la prise en compte de ces réseaux sociaux là dans la gestion d’une crise de sécurité nationale au regard de la Loi qui est actuellement en vigueur. Merci beaucoup.
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David Morin, Prof. (Sciences politiques – Université de Sherbrooke)
Merci beaucoup, Wayne. Oui, j’aimerais prendre quelques minutes pour, en fait, tenter de resituer les évènements d’Ottawa dans l’évolution ou le contexte plus large finalement de l’évolution de l’extrémisme violent à caractère idéologique, si vous me le permettez. Avec, comme propos préliminaires, le fait que s’il est assez singulier dans sa forme et dans son ampleur, ce qui s’est passé à Ottawa n’est pas un évènement isolé, d’une part, on a vu des choses similaires au cours de la dernière décennie, et il n’est pas non plus seulement dû à la pandémie même si la pandémie a été un accélérateur de détresse psychologique probablement, mais également de contestation antigouvernementale et que la pandémie a aussi finalement été instrumentalisée par d’autres agendas politiques. Pour faire cette brève démonstration-là, je reviendrais sur trois points principaux sur l’évolution de l’extrémisme violent que je vais relier aux évènements d’Ottawa. Le premier, c’est l’émergence, si vous voulez, d’une forme de convergence des luttes sur le plan idéologique. Certaines disent convergence, d’autres vont dire confusion, un peu, idéologique, je vais revenir là-dessus tout de suite. L’élément ici, c’est d’essayer de dessiner un écosystème radical extrémiste et, dans cet écosystème, d’y mettre un certain nombre d’idéologies. Donc, on a, par exemple, l’extrême droite; on a les mouvements antigouvernementaux; on a l’extrême gauche; on a dans une certaine mesure, même si on ne le relie évidemment pas à la question idéologique, mais plus à la question religieuse, le djihadisme, que j’élimine de la conversation ici; on va avoir l’extrémisme plus religieux; l’extrémisme motivé par la haine des femmes qui, je le rappelle, au Canada, est ce qui a fait le plus de victimes en termes d’actes terroristes — si on prend le temps long entre l’attentat de la Polytechnique il y a une trentaine d’années, hein, à Montréal et l’attentat de Toronto, en fait les attentats de Toronto puisqu’il y en a eu deux, donc c’est le nombre de morts le plus élevé au Canada. Donc, dessiner cet écosystème-là, et c’est ce que je disais tout à l’heure, dans cet écosystème finalement, les gens vont choisir un certain nombre d’éléments et se construire un petit peu leur propre menu radical, donc ça crée de la difficulté évidemment pour nous en tant que chercheurs, mais également pour les milieux de pratique pour collecter l’information, collecter le renseignement, et puis essayer d’avoir finalement des cases beaucoup plus claires. Donc, c’est dans cet écosystème-là que se situent un peu les évènements d’Ottawa avec quand même — et ça, j’insiste là-dessus — une domination de ce qu’on va appeler la droite radicale. Quand je parle de droite radicale, on peut parler des idéologies classiques comme le néonazisme, comme le néofascisme, l’extrême droite, le suprémacisme blanc, le nationalisme blanc, donc on a quand même — et puis Vivek parlait du populisme — la montée en Occident du populisme de droite. Et donc, ça, on a vu très, très clairement, une réappropriation de cette… de la part de cette droite radicale du mouvement de contestation. Notre équipe de recherche a observé pendant 18 mois une cinquantaine de leaders complotistes, et sur ces 50 leaders complotistes — 45, en fait, pour être exact —, la moitié appartenait à la droite ou à… en fait, à l’extrême droite canadienne et québécoise, 20 % appartenait au mouvement plutôt anti-autorité, et 25 % à l’alterscience qui, elle, a été le nouveau dans le portrait à la faveur de la pandémie. Donc, mon premier point, c’est ça, c’est dessiner ce nouvel environnement et cette multiplicité des idéologies, mais elle est évidemment très, très importante et elle précédait la pandémie. Je vais y revenir tout de suite sur cette question de l’extrémisme de droite qui précédait la pandémie. Mon deuxième point, c’est, et il illustre ça, le fait que le défi aujourd’hui, c’est que, oui, il y a des groupes organisés, mais il y a beaucoup d’individus, d’acteurs solitaires, je parle bien d’acteurs solitaires, pas de loups solitaires parce que les loups ne sont pas solitaires, d’une part, et d’autre part, parce que les acteurs solitaires ne sont pas tout à fait solitaires, on parle des réseaux sociaux depuis tout à l’heure, et ils sont capables évidemment d’échanger sur les réseaux sociaux, ils sont capables de s’abreuver des réseaux sociaux pour passer à l’acte violent. Enfin, je vais vous citer un chiffre de la Global Terrorism Database, qui est une référence en la matière, qui explique qu’au cours des dernières années, près de 60 % des actes terroristes ont été commis par des acteurs solitaires versus des organisations clairement identifiées. Ça, c’est extrêmement important parce que dans le contexte d’un évènement comme Ottawa, une des craintes était évidemment beaucoup plus l’acteur solitaire qui s’abreuverait de discours en ligne ou pas pour passer à l’acte violent. Donc là, on est sur une tendance très lourde en termes d’extrémisme violent. Et mon troisième point, les formes de l’extrémisme violent, et c’est là évidemment où je vais vous donner trois chiffres qui sont fondamentaux et qui expliquent pourquoi aujourd’hui on parle plus d’extrémisme violent que seulement de terrorisme, et cetera. Le premier élément, la première forme de violence, ce sont les crimes haineux. On a eu ici à Ottawa, et là, je vais vous donner des statistiques qui sont des statistiques publiées par le gouvernement du Canada. En 2016, les corps de police déclaraient 1 400 crimes haineux; en 2020, ils ont déclaré près de 2 700. On a donc une augmentation tendancielle de crimes haineux déclarés par la police. Alors, c’est des statistiques qu’il faut prendre avec des pincettes, il peut y avoir plus de corps de police qui déclarent, ce ne sont que des crimes déclarés, il n’en reste pas moins que c’est une augmentation tendancielle considérable. Quels sont les trois principaux types de crimes haineux? La race ou l’origine ethnique, la religion et l’orientation sexuelle. Ces trois catégories-là me laissent penser que, sans être le monopole de l’extrémisme de droite, on peut évidemment les relier à des formes d’extrémisme de droite. Ma deuxième forme ou mon deuxième type de violence : les actes terroristes. Là, je vous cite encore le Global Terrorism Database. Entre 2014 et 2019, donc avant la pandémie, on avait une augmentation de 250 % — je répète, 250 % —, des incidents terroristes liés à l’extrême droite en Occident. Donc, les attentats d'Utøya au début 2010 en Norvège commis par Anders Breivik ont ouvert une décennie d’actes terroristes liés à l’extrême droite. Ça n’a pas fait disparaitre la menace djihadiste en Occident, loin s’en faut, mais ça a créé réellement une nouvelle… enfin, « une nouvelle »… en fait, la résurrection d’une forme d’extrémisme qui est l’extrémisme de droite. Donc, c’est dans cette cour-là qu’on joue, et, au Canada, l’attentat de la Mosquée de Québec, l’attentat de London, Ontario, sont les preuves que le Canada est lui aussi impacté par cette montée des incidents terroristes d’extrême droite. Et mon dernier point, la dernière forme de violence — et vous allez voir pourquoi je la cite — concerne les manifestations violentes. Là aussi, je vous cite le Global Terrorism Database : entre 2011 et 2019 — et c’est intéressant d’arrêter ces statistiques juste avant la pandémie parce qu’elles montrent qu’il y avait déjà des tendances lourdes qui ont été finalement accélérées par la pandémie —, donc, entre 2011 et 2019 on a une augmentation de 278 % des manifestation violentes en Occident. Vous pouvez penser, par exemple, aux gilets jaunes en France qui sont une espèce de cocktail bizarre entre l’extrême gauche, l’extrême droite, et d’autres formes de violence urbaine. Nous avez, évidement, l’assaut du 6 janvier aux États-Unis, qui a été probablement le summum d’une manifestation violente, et je le répète, qui est très documenté aujourd’hui, l’assaut du 6 janvier, on le voit clairement que, oui, si ce sont tous des sympathisants de Trump, on a quand même des groupes extrémistes reliés à ces incidents, que ce soit des gens qui appartiennent au mouvement QANON ou que ce soit des gens qui appartiennent directement à des groupes comme les Three Percenters, les Proud Boys, autant de groupes qui sont considérés par certains comme des organisations terroristes, finalement pour arriver évidemment aux incidents d’Ottawa. Donc, ce que je voulais introduire ici, c’est le fait que les évènements d’Ottawa, et je fais attention aux comparaisons, il faut pas évidement comparer les évènements d’Ottawa aux évènements du 6 janvier et de l’assaut du Capitol, ça n’a rien à voir, OK? Mais l’idée ici étant de dire que ce type de manifestations violentes avec des groupes extrémistes violents et des idéologies violentes sous-jacentes existaient bien avant la pandémie. La pandémie a probablement servi de catalyseur ou d’accélérateur d’une tendance lourde qui était la montée de l’extrémisme de droite en Occident. Donc, ça me paraît vraiment important de rappeler ça et ce sera mon dernier point dans cette conclusion. Je regarde Wayne, il ne m’a pas encore fait un regard terrible pour me couper.
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David Morin, Prof. (Sciences politiques – Université de Sherbrooke)
Oui, c’est ça, c’est ça. C’est que le Canada, même si, au Canada, cette menace est probablement moins importante qu’elle nous l’est, par exemple, qu’en Amérique, les chiffres, les rapports de renseignements successifs montrent qu’elle est bien présente. La question est de savoir si elle est bien évaluée par les acteurs de la sécurité dans notre pays, si elle est évaluée à la hauteur de ce qu’elle est, de ce qu’elle représente, et des risques à la sécurité nationale qu’elle soulève. Merci beaucoup.
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David Morin, Prof. (Sciences politiques – Université de Sherbrooke)
Oui. En fait, il n’y a pas vraiment de consensus sur la façon dont on le définit, mais l’extrémisme violent, il y a deux éléments ici. Le premier élément, c’est qu’il y a une catégorie d’analyse assez large qui nous permet, par exemple, d’englober deux types de crimes reconnus dans le Code criminel. Ça va être les crimes haineux, d’une part, et le terrorisme, d’autre part, parce que souvent avant, on se focussait simplement sur le terrorisme, et donc, on disait… on liait l’extrémisme violent au terrorisme; or, aujourd’hui, on voit — et puis c’est ce que je vous décrivais tout à l’heure — un spectre beaucoup plus large de types de formes de violence, que ça soit les crimes haineux, le terrorisme ou des manifestations violentes. Donc ça, nous, du point de vu de l’analyse, en tant que chercheurs ou pour les agences de sécurité, ça leur permet d’avoir un plus large spectre. Ensuite, la question de l’idéologie, écoutez, là, je vous dirais que ça ne fait pas consensus et puis je ne veux pas rentrer dans un débat infini, mais les agences de sécurité au Canada prennent l’idéologie de manière assez restrictive pour finalement avoir des distinctions, donc là, on va reposer davantage la réflexion sur les dimensions plus politiques de l’extrémisme violent et, par exemple, on va distinguer les catégories idéologiques de celles plus politico-religieuses et éventuellement de celles qui constituent plutôt juste une cause unique. Donc, on va faire ces distinctions-là, si vous voulez, ce sont des distinctions qui, à mon avis, sont analytiques, mais avec le type d’environnement que je vous décrivais tout à l’heure, je pense qu’on se situe souvent dans des zones beaucoup plus grises. Donc là, actuellement, ce qui permet au système de justice de sanctionner l’extrémisme violent, ce sont notamment les questions des crimes haineux et du terrorisme. Sur la question de l’apologie du génocide, et cetera, c’est beaucoup plus complexe là, vraiment, c’est très contraignant sur le plan juridique, alors je ne suis pas juriste, donc je fais attention à ce que je dis, surtout s’il y en a beaucoup dans la salle. Mais donc, en gros… en gros, c’est ça.
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David Morin, Prof. (Sciences politiques – Université de Sherbrooke)
Surtout que je sais que je suis enregistré. Voilà.
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David Morin, Prof. (Sciences politiques – Université de Sherbrooke)
Oui, merci beaucoup. Deux courts commentaires. Un des défis majeurs, en fait, qu’on a face à cette question, je pense, de l’extrémisme, c’est d’arriver à tracer la ligne entre ce qui est acceptable en termes de discours extrémiste et ce qui ne l’est plus en termes de violence politique. Et donc, la plupart des gens s’entendent pour dire qu’il faut être beaucoup plus rigoureux sur la question de l’apologie de la violence, de l’apologie du terrorisme, des crimes haineux, et cetera, mais Émilie, ma coprésidente en est témoin, c’est beaucoup plus difficile quand on parle de désinformation. Et donc, quand on parle des idées extrémistes qui sous-tendent finalement la violence, si vous prenez la théorie du grand remplacement qui postule l’idée selon laquelle, par exemple, nos gouvernements cherchent à remplacer les populations d’origine dans les sociétés occidentales par des populations immigrantes, on comprend tout le potentiel nocif, toxique et violent que recèle une telle théorie, mais qu’est-ce qu’on fait avec cette théorie-là sur les réseaux sociaux, qui est de la désinformation claire, qui est une forme de discours extrémiste, qu’est-ce qu’on en fait? Et là, ça, c’est extrêmement difficile de tracer cette ligne-là. Pour nous, la question de la désinformation l’est aussi, alors on pourrait peut-être s’attaquer aux campagnes massives de désinformation, #StopTheSteal, Vivek en parlait tout à l’heure, qui est un bon exemple à mon avis, qu’est-ce que là on fait par rapport à ça. Donc ça, c’est mon premier point sur la question du défi finalement, est-ce qu’on accepte collectivement les extrémistes, mais ce qu’on n’accepte pas, c’est la violence au nom de l’extrémisme. Même ça, c’est difficile, hein, à accepter que dans une société pluraliste que décrivait Vivek, démocratique, on l’accepte, et en même temps on sait pas quoi faire avec ça parce que c’est pas parce qu’une idée n’est pas violente et qu’elle n’appelle pas directement à la violence qu’elle ne recèle pas une violence symbolique majeure dans le discours, et les minorités racisées en sont témoins malheureusement dans notre société. Et mon deuxième très court commentaire concerne beaucoup plus la question de la régulation. Ce qu’on observe beaucoup, c’est que le point commun entre tous ces mouvements extrémistes, c’est la perte de confiance dans nos institutions — pas seulement ça, mais beaucoup ça — et que le risque ici est de surréagir. Dans un pays comme le Canada, l’extrémisme est encore à un niveau — entre guillemets — « acceptable » si on compare par exemple avec ce qu’il est aux États-Unis, et je pense que le fait de surréagir pourrait devenir là aussi largement contre- productif, en fait. Et donc, si on se dote dans nos sociétés d’instruments juridiques qui sont très, très contraignants, on va aussi renforcer finalement le discours et le narratif des extrémistes, et ça, je pense que c’est un autre défi qu’on a vraiment en tant que société pour savoir où on tire la ligne. Y’a pas de recette magique, enfin, y’a pas de mode d’emploi, mais on sait que dans les sociétés, on a tendance à être trop punitif. La réponse sécuritaire finalement, c’est un pis-aller, ça ne fonctionne pas sur le moyen et sur le long terme, et je pense que ça aussi, il faut collectivement qu’on questionne, et puis je pense que c’est le sens aussi d’une partie des propos de Vivek, quand on écoute les extrémistes, il faut écouter les griefs aussi qui sont adressés par les extrémistes à notre société, que ce soit la justice sociale, le manque de confiance dans les institutions, et cetera, et cetera. Je m’excuse, je suis sorti un petit peu de la question juste des réseaux sociaux, mais je souhaitais apporter ces deux éléments-là additionnels. Merci.
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David Morin, Prof. (Sciences politiques – Université de Sherbrooke)
Oui, merci. Quel regard poser, avec un peu de recul, sur les évènements d’Ottawa? De mon point de vue, le principal enseignement, dans ma perspective, c’est le fait que notre démocratie est forte et fragile à la fois. Elle est fragile parce que, à partir du moment où une partie de nos concitoyens ne croient plus dans les institutions démocratiques, qu’elles soient politiques, juridiques, médiatiques, scientifiques, alors les règles du jeu changent. Dans un contexte actuel marqué, mes collègues l’ont bien décrit, par des polarisations sociales fortes, je pense que ça nous montre quand même comment on a tendance à prendre les démocraties pour acquises et à sous- estimer finalement leur fragilité. Dans le même temps, je dirais que les démocraties… la démocratie canadienne reste forte, et c’est un peu le message que j’aimerais envoyer aussi aux gens qui ont manifesté à Ottawa, la Commission Rouleau est un puissant exercice démocratique. Dans quel régime autoritaire on verrait 75 témoins défiler devant une Commission pour parler de ce qu’ils ont fait, pour revenir finalement sur une décision politique qui est celle de la mise en place d’une Loi sur les mesures d’urgence? Quelle que soit l’issue finalement de cette Commission, quelles que soient les conclusions qu’elle tire, l’exercice lui-même devrait nous convaincre du fait que nos institutions fonctionnent quand même plutôt bien, de manière transparente, et cetera. Donc, peu importe, en fait, la conclusion, pour moi, c’est l’élément de force ici. Et le deuxième aspect de ma conclusion ici ne se situe plus dans les institutions, elle se situe sur la conversation sociale. Comment est-ce que l’on peut à la fois doter nos institutions démocratiques des outils suffisamment puissants pour se protéger et comment, de l’autre, on peut essayer de renforcer le lien social, de renforcer le dialogue social, et je pense que ça, ça n’appartient plus aux gens qui sont autour de cette table, ça nous appartient tous individuellement — puis probablement que c’est l’humanisme de mon collègue qui me teinte ici quand je dis ça, ça fait ça à force de travailler longtemps avec des gens —, et c’est vraiment l’idée selon laquelle, et je ne me permettrais pas de faire une recommandation à la Commission, mais comment examiner finalement ces évènements-là avec une certaine empathie, une certaine bienveillance pour à la fois réfléchir aux victimes, et puis on a quand même pas tant parlé que ça des victimes, notamment à Ottawa, y’en a quand même eu beaucoup, mais à la fois aussi des griefs qui sont adressés par les gens qui venaient manifester. Donc, je m’excuse, c’est plus… ici, ça relève plus de la philosophie politique que de recommandations concrètes, mais je pense que c’est important de conserver ça en tête parce que cette Commission — encore une fois, je le répète —, pour moi, d’un point de vue de chercheur, d’un point de vue de quelqu’un qui travaille sur les questions de sécurité et de quelqu’un d’humaniste démocratique, est quand même un exercice fascinant et incroyable qui, à mon avis, nourrit aussi ou peut contribuer dans une certaine mesure à renforcer la confiance d’une partie de la population dans nos institutions. Merci.
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David Morin, Prof. (Sciences politiques – Université de Sherbrooke)
Yes. Oui, merci beaucoup. Permettez-moi de faire un bref retour sur la question précédente pour donner un exemple à la Commission. Depuis deux ans en temps de pandémie, on a notamment, par exemple, beaucoup utilisé le terme « complotistes » pour désigner une partie des gens qui appartenaient de contestation des mesures sanitaires; parfois, ce terme-là a été utilisé à bon escient, mais il l’a également été à mauvais escient pour essayer finalement de disqualifier toute contestation des mesures sanitaires. On a vu aussi beaucoup dans les médias utiliser des termes comme — au Québec par exemple — « covidiot », « turistata », « coucou », et cetera, pour là aussi désigner une catégorie de la population. Donc, j’ai deux commentaires à ce sujet-là. Le premier, c’est que les données scientifiques qu’on a montrent que parmi les facteurs d’adhésion au complotisme et aux mouvements extrémistes, il y a aussi l’idée qu’on est stigmatisé, la perception qu’on est discriminé. Donc, en fait, plus on utilise ce type de vocabulaire qui étiquette, qui stigmatise, plus finalement on renforce l’adhésion à une forme de radicalité politique. Le deuxième élément que je voulais dire, c’est que — et là aussi, c’est pour rappeler que les institutions fonctionnent —, le Conseil de presse au Québec a blâmé certains médias pour avoir utilisé ces termes-là. Donc, ça, souvent on en parle assez peu, mais c’est aussi une preuve que le système fonctionne. Je voulais juste ajouter ça sur le deuxième… la seconde question, ça va être très, très bref. Ce dont on s’aperçoit finalement, c’est que de plus en plus les groupes extrémistes utilisent en fait finalement ce qu’on appelle les médias alternatifs. Donc, mes collègues parlaient des réseaux sociaux, et cetera, mais en fait on a de plus en plus la création de médias qui sont alternatifs — je ne citerai pas de nom ici pour faire de publicité à personne — et on les a vus extrêmement présents pendant le convoi à Ottawa. On a vu des journalistes — en fait, d’ailleurs, c’est un problème, qui est un journaliste et qui ne l’est pas, maintenant n’importe qui peut dire qu’il est journaliste —, et donc, avoir effectivement des… ce qu’on appelle de la « réinformation » ou d’autres types d’informations alternatives sur les évènements, et cetera. C’est ceux qui disaient qu’il y avait 100 000 personnes à Ottawa alors que, vous avez lu les rapports de police comme moi, les grosses journées, on parlait plutôt de 10 000. C’est ceux qui effectivement répandaient toutes sortes d’informations. Donc, on voit de plus en plus, en raison de la méfiance vis-à-vis des médias mainstream… d’ailleurs, la méfiance vis-à-vis des médias mainstream, elle ne concerne pas juste des extrémistes, hein, c’est très répandu malheureusement dans la population en général, mais on a vu se constituer effectivement des médias alternatifs, et certains qui sont très, très, très suivis, c’est-à-dire par des centaines de milliers de personnes, sur les réseaux sociaux avec finalement toutes les apparences de vrais médias, des reporters sur le terrain, et cetera, et cetera. Donc, je pense que là aussi, effectivement, il y a une espèce de… pas de guerre, le mot est trop fort, mais en tout cas de concurrence importante de la part de nouveaux médias, et là, la question du financement est évidemment très, très, très, très importante parce que pour que ces médias fonctionnent, ils ont besoin de financement. Voilà. Merci.
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David Morin, Prof. (Sciences politiques – Université de Sherbrooke)
La question la plus glissante de la matinée, n’est-ce pas?
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David Morin, Prof. (Sciences politiques – Université de Sherbrooke)
Ben, y’a deux éléments pour moi importants dans ce que je comprends de ce qu’est la Loi sur les mesures d’urgence, mais évidemment vous la maitrisez mieux que moi. La première, comme on le disait tout à l’heure, je pense que toute la notion de réseaux sociaux est finalement pas tellement prise en compte, et je le rappelle, ce que je disais tout à l’heure sur la question de volatilité finalement de la gestion de crise, ça me semble quand même important de voir comment elle peut être mise à jour là-dessus. Le deuxième volet, de ce que je comprends, et là je mets plus mon chapeau de chercheur en sécurité nationale, c’est peut-être de donner une vision un peu plus large de la sécurité nationale que celle qui est comprise dans la Loi sur le SCRS qui elle-même, à mon avis, est assez datée, la Loi sur le SCRS, je sais que c’est un autre débat, mais qui mériterait probablement d’être un petit peu dépoussiérée, si vous voulez mon bien humble avis. Donc, je pense que… et là, on l’a vu, est-ce que la question, par exemple, de la sécurité économique, et on a vu l’importance de certains 11 stratégies au Canada, et cetera,, certaines frontières, et cetera, est-ce qu’on devrait englober ça? Je pense que oui. Je pense qu’il y a la question aussi de la sécurité climatique qui devient un vrai enjeu sur certains éléments de la sécurité nationale, donc je pense qu’on pourrait avoir une vision un peu plus large de ce qu’est la sécurité nationale. Donc, c’est vraiment pour moi les deux éléments importants du point de vue de la Loi elle-même.