Michelle Cumyn
Michelle Cumyn spoke 10 times across 1 day of testimony.
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Michelle Cumyn, Prof. (Droit – Université Laval)
Oui, merci, Professeur Leblond.
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Michelle Cumyn, Prof. (Droit – Université Laval)
Alors, je m’appelle Michelle Cumyn. Mon expertise porte principalement sur les règles du droit privé applicables au sociofinancement et, de façon plus accessoire, je m’intéresse aussi à la gouvernance des plateformes en ligne qui offrent des services de sociofinancement. Mon intervention portera sur trois éléments, les trois éléments suivants qui sont tirés du rapport d’expert que j’ai préparé à la demande de la Commission sur l’état d’urgence et qui est publié dans son site web. Premièrement, le droit privé applicable au sociofinancement sous forme de dons; deuxièmement, le caractère politique et parfois subversif de certaines campagnes de sociofinancement; et troisièmement, la portée des nouvelles mesures qui visent à assujettir la plateforme de sociofinancement aux dispositifs découlant de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes. Alors, premier élément, le droit privé applicable au sociofinancement sous forme de dons. Le sociofinancement sous forme de dons fait naitre des rapports juridiques entre trois acteurs ou trois catégories d’acteurs. D’abord, le porteur de projet qui lance la campagne de sociofinancement et qui souvent administre les dons; ensuite, les donateurs qui contribuent à la campagne de sociofinancement; et enfin, les bénéficiaires à qui sont destinés les dons. Le porteur de projet peut être une personne physique, une personne morale, ou un groupement informel qui souvent n’a pas même d’existence juridique. Par exemple, je pourrais former un groupe qui s’appelle « Liberté 2022 » et lancer une campagne de sociofinancement en indiquant « Liberté 2022 » comme porteur de projet. Quant aux bénéficiaires de la campagne, il peut s’agir de personnes nommément désignées ou il peut s’agir d’un groupe de personnes plus ou moins bien défini, ou enfin, il peut s’agir d’un projet ou d’une cause. Par exemple, le groupe Liberté 2022, porteur de projet, pourrait lancer une campagne qui a pour objet de payer les dépenses de Luc Tremblay arrêté pendant le convoi de camionneurs. Dans ce cas, le bénéficiaire est une personne nommément désignée. Ou alors, le groupe Liberté 2022 lance une campagne ayant pour objet de soutenir financièrement tous les camionneurs qui ont participé au convoi. Les bénéficiaires font alors partie d’un groupe plus ou moins bien défini. Et enfin, troisième possibilité, Liberté 2022 pourrait lancer une campagne de sociofinancement ayant pour objet de soutenir la création d’un film pour raconter le convoi, auquel cas il s’agit de financer un projet. À ces trois catégories d’acteurs, donc le porteur de projet, les donateurs et les bénéficiaires, il faut ajouter la plateforme en ligne qui offre des services de sociofinancement. Par exemple, GoFundMe ou GiveSendGo, deux plateformes qui ont été impliquées pendant le convoi. Ces plateformes publient les modalités de la campagne de sociofinancement sur une page dédiée de leur site et acheminent les dons des donateurs au porteur de projet ou aux bénéficiaires. Pour prélever les dons et les transférer, les plateformes de sociofinancement ont recours à dans entreprises de services monétaires tels que PayPal, ApplePay, GooglePay, et ainsi de suite. Le cadre juridique applicable au sociofinancement sous forme de dons est mal défini dans le droit privé des différentes provinces et territoires du Canada. Le droit privé doit permettre de déterminer qui est le propriétaire des dons et qui a le contrôle sur les dons et à quel titre. En droit québécois, on se demande qui est donataire. Est-ce que c’est le porteur de projet ou est-ce que ce sont les bénéficiaires? S’il s’agit du porteur de projet, cela implique qu’il en est pleinement propriétaire et qu’il peut en disposer à sa guise. Les donateurs et les bénéficiaires auraient alors peu de recours si les dons n’étaient pas utilisés conformément à l’objet de la campagne. Donc, il serait préférable de considérer que ce sont les bénéficiaires qui sont donataires; après tout, c’est aux bénéficiaires que les dons sont destinés. Cependant, on rencontre alors un problème quant à la validité des donations, toujours selon le droit québécois, parce que, pour que les donations soient valides, il faut l’acceptation du donataire et cette acceptation fait souvent défaut, surtout si la campagne a pour objet de soutenir un groupe de bénéficiaires mal défini, un projet ou une cause. Dans le droit des autres provinces et territoires du Canada, la qualification de fiducie – « trust » – serait probablement retenue. Ainsi, le porteur de projet et toute autre personne qui se charge d’administrer et de distribuer les dons seraient considérés comme fiduciaires de ces sommes — « trustee ». Cette solution apparait comme la plus souhaitable parce qu’elle impose des devoirs stricts au porteur de projet et aux autres personnes qui administrent les dons afin qu’elles soient tenues d’utiliser les dons pour l’objet de la campagne de sociofinancement. Cependant, l'application du droit des fiducies soulève des difficultés en droit canadien actuel parce qu’il s’agit souvent de fiducies ayant un objet non caritatif — a non- charitable purpose trust. Ainsi, la fiducie risque d’échouer en raison de l’indétermination de son objet. Par ailleurs, le droit actuel ne donne pas de solution adéquate lorsque les dons deviennent impossibles à utiliser pour réaliser l’objet de la campagne ou qu’il subsiste un reliquat de ces dons. C’est pourquoi la Conférence pour l’harmonisation des lois au Canada — Uniform Law Commission of Canada — a conçu une Loi uniforme sur le sociofinancement sous forme de dons qui permet de résoudre ces difficultés. La Loi uniforme reconnait que le sociofinancement sous forme de dons donne naissance à une fiducie et adapte les règles de la fiducie pour mieux régir les rapports entre les parties. L’adoption de la Loi uniforme à l’échelle canadienne apportera une meilleure protection aux donateurs et aux bénéficiaires et clarifiera les rapports juridiques à l’égard des dons, à qui appartiennent ces dons et qui peut exercer un contrôle sur eux. Cette question me semble essentielle puisque les tentatives de règlementer le sociofinancement, comme celles dont nous discutons aujourd’hui, peuvent dépendre, pour leur mise en œuvre, de la question de savoir qui détient les fonds ou les dons et à quel titre. Par ailleurs, un autre avantage de la Loi uniforme est qu’elle permettra de baliser les pouvoirs des plateformes de sociofinancement. À l’heure actuelle, les conditions d’utilisation des plateformes leur accordent une très grande discrétion qui leur permet de s’immiscer dans l’administration et la disposition des dons. La Loi uniforme prévoit que toute personne agissant de la sorte devient fiduciaire. Ainsi, les devoirs stricts qui incombent aux fiduciaires s’appliqueraient aux plateformes de sociofinancement dès qu’elles interviennent dans l’administration et la disposition des dons. Le deuxième point que je souhaite aborder concerne le caractère politique et subversif de certaines campagnes de sociofinancement sous forme de dons. Certaines campagnes de sociofinancement ont attiré l’attention ces dernières années en raison de leur caractère politique et même subversif. On se rend compte de leur efficacité pour mobiliser et financer des mouvements citoyens et parfois des mouvements de contestation qui ébranlent l’État. On a vu le sociofinancement jouer ce rôle lors du mouvement de protestation de 2019 à Hong Kong. Les manifestants ont su tirer profit des attributs suivants qui caractérisent le sociofinancement : sa simplicité, sa spontanéité, son informalité, son caractère mobilisateur, son caractère international, et sa capacité de déjouer les autorités. On retrouve ici, me semble-t-il, certains parallèles avec l’utilisation du sociofinancement lors du convoi. La campagne Refund The Wall est un autre exemple intéressant d’une campagne de sociofinancement au caractère très politique. Cette campagne qui a permis d’amasser plus de 25 millions de dollars par l’entremise de la plateforme GoFundMe avait pour objet la construction d’une partie du mur que le président Donald Trump avait promis d’ériger sur la frontière entre les États-Unis et le Mexique. Après le début de la campagne et probablement à la demande de GoFundMe, le porteur de projet a constitué une OBNL, une organisation à but non lucratif, pour recueillir les dons. Cela n’a pas empêché plusieurs individus, dont Steve Bannon, de divertir une partie des dons à leurs profits, et ces personnes font l’objet actuellement d’accusations criminelles pour fraude. Plusieurs campagnes de sociofinancement politiquement chargées ont provoqué des scandales, incitant certaines plateformes à s’en distancier et d’autres à les accueillir. Cela peut conduire à la politisation des plateformes elles-mêmes. Je crois qu’il faut garder à l’œil ces phénomènes et s’assurer que les lois électorales sur le financement des partis politiques permettent un encadrement adéquat à l’égard de ces phénomènes. Cependant, du fait même que le sociofinancement revêt parfois un caractère politique, il faut aussi s’assurer que la liberté d’expression et d’association ne soit pas brimée par les contrôles dont il fait l’objet. Par ailleurs, les quelques campagnes fortement médiatisées qui ont une dimension très politique ne doivent pas nous faire oublier que la vaste majorité des campagnes de sociofinancement sont fondées sur l’entraide et la volonté de mener à bien des projets qui sont bénéfiques pour la collectivité. Ce serait dommage qu’en imposant au sociofinancement un cadre trop rigide ou trop lourd, on décourage ces initiatives dont les retombées sont le plus souvent positives. Et le troisième point que je vais aborder très brièvement concerne la portée des modifications au Règlement sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes adopté le 5 avril 2022 pour assujettir les plateformes de sociofinancement sous forme de dons au Règlement, et ici, mon propos va rejoindre dans une grande mesure celui de Jessica Davis avec qui je suis largement en accord. Alors, cette modification peut être vue comme la continuation des mesures financières découlant du Décret sur les mesures économiques d’urgence. Les plateformes de sociofinancement sont désormais considérées comme des entreprises de services monétaires ou des entreprises de services monétaires étrangères. Par conséquent, elles sont assujetties à de nouvelles obligations auprès de CANAFE, à savoir, notamment : Remplir les exigences relatives aux besoins de bien connaitre son client, y compris de vérifier l’identité des personnes et des entités pour certaines activités et opérations; Conserver certains documents, dont ceux concernant les opérations et la vérification de l’identité des clients; et, Déclarer certaines opérations à CANAFE. Comme plusieurs l’ont souligné, il y aurait lieu d’examiner l’utilité de ces mesures puisque les plateformes confient généralement le traitement ou peut-être même… toujours, en fait, dans tous les cas que je connais, elles les confient, le traitement des paiements, à des intermédiaires qui sont déjà visés par le Règlement. Alors, dans ses observations en réponse à mon rapport d’expert, le ministère de la Justice du Canada souligne que la plateforme de sociofinancement possède des informations ou peut mettre en œuvre des mécanismes pour recueillir des informations que ne détiennent pas les entreprises de services monétaires. Je trouverais utile d’en savoir davantage sur la nature de ces informations additionnelles que seules les plateformes de sociofinancement sont susceptibles de détenir et je souhaiterais aussi savoir pourquoi ces informations additionnelles sont nécessaires ou utiles pour la réalisation de l’objet de la Loi. Par ailleurs, je voudrais souligner que plusieurs personnes ou groupes recourent au sociofinancement en créant une page de dons à même leur site web. Ces personnes ou groupes n’utilisent pas les services d’une plateforme de sociofinancement, mais elles utilisent les services d’une entreprise de services monétaires. Alors, selon ma compréhension, de telles campagnes de sociofinancement échapperaient donc aux nouvelles mesures mises en place pour mieux surveiller les activités de sociofinancement. Les porteurs de projet qui désirent éluder les nouveaux mécanismes de cueillette d’informations que devront mettre en œuvre les plateformes de sociofinancement pourraient donc s’y soustraire en créant une page de dons à même leur propre site web. Si le but des modifications introduites le 5 avril 2022 est de s’assurer que la plateforme de sociofinancement vérifie l’identité des porteurs de projet ou des donateurs et conserve une trace de leurs activités, cela me préoccupe du point de vue de la protection de la vie privée. Actuellement, les plateformes de sociofinancement recueillent assez peu d’informations de cette nature. Les données que devraient collecter les plateformes à la demande de CANAFE sont aussi des données dont elles pourraient faire un usage préjudiciable aux individus concernés. C’est la préoccupation que je voudrais formuler. En vous remerciant beaucoup de votre attention.
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Michelle Cumyn, Prof. (Droit – Université Laval)
Yes, and I think you made that point as well.
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Michelle Cumyn, Prof. (Droit – Université Laval)
Oh, sorry. Michelle Cumyn, yes, that’s right. It is possible to have -- to launch a crowdfunding campaign without using a crowdfunding platform. All you need to do is create a page on your website for people to give donations, and in that case, while you’re using a money services provider -- is that what they’re called in English; a money services provider, and therefore that would therefore be reported to FINTRAC. Is that correct?
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Michelle Cumyn, Prof. (Droit – Université Laval)
So I don’t understand what the added value is of also getting reporting from the crowdfunding platforms themselves.
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Michelle Cumyn, Prof. (Droit – Université Laval)
Je voudrais peut-être…
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Michelle Cumyn, Prof. (Droit – Université Laval)
Michelle Cumyn. Je voudrais peut-être juste ajouter quelque chose aussi. Pour moi, le moment où tout ça est devenu vraiment illégitime, c’est lorsqu’il y a des actes criminels qui ont commencé à être commis par les manifestants, et une des mesures qui a été prise, je ne sais pas si elle a été efficace, mais je le soulève quand même, je le souligne, c’est l’ordonnance de blocage sur le fondement de l’article 490.8 du Code criminel qui permet, donc, de bloquer ou de geler des fonds si on croit que ces fonds vont être employés pour commettre une infraction criminelle grave. Il me semble que ça, c’est un exemple d’une mesure qui semble tout de même efficace, mais, en tout cas, c’est pour moi le moment où toute cette histoire est devenue vraiment illégitime du point de vue sociofinancement, c’est lorsqu’on a vu que ces fonds-là allaient être utilisés pour commettre des actes criminels. Voilà. Merci.
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Michelle Cumyn, Prof. (Droit – Université Laval)
Non, c’est très bien. Merci.
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Michelle Cumyn, Prof. (Droit – Université Laval)
Oui.
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Michelle Cumyn, Prof. (Droit – Université Laval)
Oui. Bien, je suis vraiment d’accord avec tout ce que mes collègues viennent de dire. Je pense que l’anonymat, c’est une manière importante de protéger sa vie privée, et puis si on pense aux origines du sociofinancement, bien, on passait le chapeau puis les gens déposaient quelques pièces dans le chapeau. C’est… malheureusement, on est maintenant dans une situation où toutes les transactions laissent des traces et je pense que, comme les collègues l’ont très bien dit, il y a vraiment un danger à profiter de ça pour essayer de surveiller toutes ces transactions-là parce que les gens vont vouloir trouver d’autres façons justement de rester dans l’anonymat. Alors, je pense que c’est vraiment… c’est ça, je pense que ça, ce point-là, il est important aussi, mais je suis aussi d’accord avec tout ce que les autres ont dit. Merci.